Nr. 809.
M. Deville, Ministre de France à Athènes,
à M. Gaston Doumergue, Président du Conseil,
Ministre des Affaires étrangères.1)
Athènes, le 20 mai 1914*
Mon collègue de Serbie vient de me mettre très confidentiellement
au courant d’un entretien qu’il vient d’avoir avec le Ministre de Turquie.
Ghalib Bey est allé exposer à M. Balougdjitch que l’Allemagne s’ef¬
forçait de rapprocher la Roumanie, la Grèce et la Turquie en vue d’une
alliance entre elles. Mais, toujours d’après Ghalib Bey, d’autres auraient
songé à la combinaison d’une alliance Russie, Turquie, Bulgarie, Serbie,
et c’est à celle-ci qu’iraient les préférences de la Porte pour le motif
que c’est la Russie qu’elle a le plus à craindre et que c’est avec la
Russie qu’elle a le plus grand intérêt à être bien. Au lieu donc de subir
la combinaison allemande qui la mettrai contre les Slaves, la Turquie
se déclare prête à s’entendre et à marcher avec ces derniers.
Ghalib Bey a essayé de convaincre le Ministre de Serbie en lui
offrait Salonique, indispensable, a-t-il insisté, au roy¬
aume serbe; il lui a aussi annoncé le don de Cavala à la Bulgarie.
Convaincu, avec raison selon moi, que la combinaison fondamentale
à maintenir et à fortifier est l’entente de la Roumanie, de la Serbie et
de la Grèce, M. Balougdjitch ne s’est pas laissé séduire. Il déplore les
maladresses des publicistes serbes qui revendiquent Salonique, autant
que celles des journaux grecs qui regrettent Monastir, et il est heureux
de constater qu’il n’y a là que des mégalomanies individuelles (?) com¬
battues par les deux Gouvernements. Il ne demande pas mieux que de
voir son pays renouer de bonnes relations avec la Turquie et la Bul¬
garie, mais à la condition que ce ne soit dirigé ni contre la Roumanie^
ni contre la Grèce. Il ne veut pas (faire le jeu de l’Autriche intéressée
par-dessus tout à diviser les amis actuels, et espère que Serbes, Rou¬
mains et Grées continueront à avoir la sagesse de n’écouter ni ses pro¬
messes, ni ses menaces, ni les fantaisies inconscientes de quelques-uns en
dehors d’elle et de rester unis. Ayant pour la Russie les meilleurs senti¬
ments, il se propose de mettre notre collègue russe au courant de ce qui
précède; il compte que le Gouvernement du tsar ne se laissera pas
prendre à l’apparence du bloc slave que semble vouloir constituer la
combinaison prônée par Ghalib Bey, et qu’il verra la réalité: une
scission de nature à ne satisfaire que l’Autriche et préludant à des
scissions futures à son seul profit.
Deville.
4n
1) Livre Jaune 1912, III, Nr. 218.