Sur le désir personnel du roi Pierre je suis entré dans la carrière
diplomatique.
Ayant été nommé secrétaire de légation à Paris, j’avais l’intention
de profiter de cette occasion pour continuer à Paris mes études de
droit international afin de retourner plus tard à l’université de Belgrade.
Hélas le développement des événements politiques me força à renoncer
à ce plan.
J’ai été secrétaire et ensuite chargé d’affaires en France de 1904
jusque 1907.
En 1907 je fus transféré à Vienne et peu après à Berlin comme
chargé d’affaires de 1907—1914.
En mai 1914 je fus nommé agent diplomatique et consul général au
Caire et ce changement de poste m’a épargné d’être lors de l’assassinat
de l’archiduc François-Ferdinand l’interprète de la politique du gou¬
vernement serbe, politique qui a été une des causes de la grande
guerre.
Au commencement de 1915, toujours agent diplomatique au Caire,
j'appris en mars 1915 de Constantinople et de source bien informée
que les Austro-Allemands étaient décidés d’occuper coûte que coûte la
Serbie afin d’obtenir la communication directe avec Constantinople.
J’étais aussi convaincu que les Bulgares profiteraient de l’attaque
austro-allemande pour nous tomber dans le dos. De plus il était clair
à ce moment là, vu les défaites russes en Galicie, que la Serbie ne
pouvait plus compter désormais sur un appui quelconque de la Russie.
Etant dans ces conditions presque sûr de la ruine prochaine de mon
pays, j’eus l’idée hardie, trop hardie peut-être, d’essayer de faire éviter
la catastrophe imminente qui menaçait ma patrie.
A mon sens, le seul moyen de conjurer après la débâcle russe la
catastrophe serbe était la prompte conclusion de la paix entre l’Angle¬
terre et la France d’un côté et les puissances centrales de l’autre.
Connaissant la vive répulsion de mon gouvernement pour une con¬
clusion de la paix et n’ignorant pas les raisons de cette attitude néfaste,
je résolus de ma propre initiative et au risque de compromettre à
jamais ma carrière diplomatique, de profiter de mes rélations person¬
nelles à Paris et à Berlin pour voir si l’idée de la paix avait une prise
quelconque.
Vu la situation générale militaire défavorable d’un côté (stagnation
sur le front ouest, débâcle russe, échec militaire aux Dardanelles,
épuisement par suite de la guerre et des maladies en Serbie) et l’avenir
chargé de menaces pour ma patrie de l’autre, la conclusion de la paix
était à mon avis une urgente nécessité, mais je compris qu’il fallait
encore bien ménager les susceptibilités des belligérants.
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